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Actualité

dimanche 25 mars 2007

Le corps écrit


Le corps écrit, 2007 (collection privée)

Elle est plus souple sous cet arbre renversé
elle est plus douce et elle le sait
les branches écrivent
ses seins aussi
elle a perdu sa peur en acceptant d’être nue
peau et muscles os et reins grain de peau
grains de mots qui lentement se tordent
en arabesques
et le feuillage éclot lentement de sa nuit
sueur bleutée de gongs et de maillets qui chantent dans son ventre
tête penchée de l’arbre sur son épaule
plus de rivalité
juste un échange
juste un bras projeté autour du cou de la conscience
juste un été
affrontement tendresse devenu
et le corps ne crie plus
est-il arbre est-il enfant
est-il en train de naître ou de mourir
est-il au féminin présent
lentement l’orangé prend la place du sang
l’enragé qui descend en terre s’enracine se détend se défend se libère
étrangeté des sons qu’il profère
qu’elle entend

la suite l’indiffère
et pourtant
elle entend
c’est la chanson du vent qui prélude à la nuit mais la douce et la tendre
celle qui la recouvrira de temps
grande main qu’elle retrouve
venue du continent
de ses premiers matins
venue d’avant le temps

IN, le 22/03/07

jeudi 22 mars 2007

Son corps ses cris


Son corps ses cris, 2007

Son corps ses cris comme un arbre dressé
avec le tronc et les racines
et la feuillée et le feuillage
son corps si mâle avec peut-être le féminin �  l’intérieur
son corps comme un arbre dressé
que les cris circoncis seuls traduisent
arbre des femmes et des douleurs
qu’elles seules savent lire
leurs cris leurs peurs
tout ce que leur corps n’écrit pas mais
tout ce dont il meurt

et la couleur accumulée
terreau des cœurs dissimulés dans la chaleur des peaux des cris des sueurs
haute poitrine gonflée 
cou plein
corps cœur
la main cassée qui seule peut être et résister
la main du cœur sœur des forêts
et l’île nue des reins
des seins au ventre

sa mort ses cris




IN, le 17/03/07

mercredi 7 mars 2007

Suite pour Duo 12

Les glissements de la mémoire entre deux corps qui n’en font qu’un
du clair au sombre et � la nuit
ces glissements sur la pente inexorable du sang
nœud de matière bras main
un étau qui se crispe
l� où caresse devient destin les corps scellés par cette grotte sombre qui apparaît
entre eux
qui creuse en eux
l’antre-eux
le corps devenu son antre rassurant, � cette bête rouge sang de l’intérieur des ventres éclatés l’un en l’autre
et dire ce ventre c’est dire le vent qui les balaie qui les malaxe et qui les rend gorge bouche magmas vivant
celui qui sculpte la pâte molle du début et la transforme os chair
peau et cendres
et souffle
et vibrants

approche furtive du début
transformée en combustion lente
puis agonie
agonie de l’errance lorsque deux emmêlés se pourfendent et s’étreignent
si fort que la taille de la femme devient roseau ardent fente embrasure
sous la grande main noire de ce qui se faufile entre eux
tempête du désir lacérant tout sur son passage
et source et soir coulant sur les parois du sexe
qui a surgi en elle
non celui de l’autre mais le sien

et ce lieu innommé soudain devient présence
par la magie d’un son qui recrée l’infini
les parois de la gangue qui flottaient au-dehors
sont entrées en ouvrant la chair comme une fleur
le corps souple se muscle et devient dense
danse de l’ailleurs ligoté qui soudain s’élargit en immense havresac
        en une immense besace
le sac et le ressac y trouvent sérénité
serre haine ite
va étrangler la haine pour la tuer
� la place le velours de ces teintes
        bleues et rouges

où l’étreinte du ciel et de la terre se fond dans un baiser
le ventre qui se creuse
le sein qui s’arrondit
elle s’est mise � pulser et se tourne vers lui
coller sa peau nue � la peau retrouvée
grammaire et abc du geste
pulpe devenue chair
souffle redevenu fruit
hier enchâssé dans la douleur du présent
et sa douceur aussi
mutantes du soleil et de l’ombre mêlés
lentement
mutantes l’une en l’autre
horizon déplacé

fines silhouettes roses s’animant sur l’été qui de sa grande main cambre notre
animalité
jeu de mains
jeu demain
je deux mains
je demain
aujourd’hui et demain dans ces mains qui se prennent et qui vibrent et qui
dansent et qui lâchent aussi tous leurs repères anciens
les doigts devenus chaînes
        grains d’un même collier tout bruissant d’âme humaine
aimant alimenté par cette
énergie sourde
ruisselante empourprée
du corps nu des bruyères
lorsqu’elle s’enflamme et mue

énergie de la matière
la prière de l’instant

IN, le 6 mars 2007


Jeu de mains, 2007 (collection privée)

La connivence et le silence

Et si l’éloignement favorisait la concordance, épurait l’immédiat, ses nuisances, ses préjugés, permettait seul de libérer en nous cette part que la proximité des autres parfois empêche de s’exprimer, long cheminement de silence vers soi-même au plus intime de ce qu’on est ? L’éloignement comme un moyen de brûler plus, plus librement, face à et dans cette nudité que nous palpons et malaxons en nous-même d’abord aussi, une façon d’être où l’être est nu, nu d’être ce qu’il est.

C’est en écrivant sur duo 12 que cette réflexion me vient, acérée comme une lame que mes mots trempent dans le sang, celui que je vois sur la toile, cette image transparente que je ne regarde que sur écran, toujours différente sur papier. C’est le glissement de ces supports, transitions successives vers autant d’états que de jours différents, de regards, de perceptions, acuité renouvelée de l’esprit qui va fouiller de plus en plus loin et profond dans tout ce que nous tentons de dire, tentons d’écrire, tentons de vivre peut-être aussi. La différence entre Sylvie Heyart et moi n’existe plus, ou presque pas. Elle peint mes mots, je lui prête mon regard, nous tressons ces images ensemble qui ne sont pas que des images, mais un espace de réflexion devenu chair que nous allons explorer non pas ensemble mais d’un même pas, un cheminement qui répond � nos exigences de temps, de mouvement, d’espace propre mais qui se construit pas à pas, émerveillement de recevoir ce qu’elle m’envoie, indicible de découvrir l’écho du son, du rythme de mon écriture dans ses corps nus qui nous ébranlent toutes les deux en profondeur, au plus intime de la fibre.

Dire que nous travaillons ensemble me semble soudain réducteur, c’est de connivence qu’il s’agit, une connivence « de l’intérieur », comme si nous échangions le début, le milieu et la fin d’une histoire, comme si nous entremêlions des fils que nous connaissons toutes deux déjà sans les connaître, que nous portons à travers chair, souffle, désir, envoûtement d’une même musique intérieure que nous gravons grâce à des outils différents qui au bout du compte n’en font qu’un.

Ce désir comme une tension, comme notre fil conducteur, comme une création qui sous-tend tout le reste. Désir qui n’est peut-être même pas le mot juste, tension correspond aussi bien à l’image, à l’esprit, au travail d’où sort le résultat visible que nous montrons. Désir qui ouvre le passage « de l’état au mouvement », une image qui m’est chère à travers tout ce que je fais, écris, vis, aime, comprends, respire, passage, tremplin, fil tendu au-dessus du vide et du néant, celui qui est en moi, qui m’apaise et me terrorise, où je vais voir ce qu’il y a peut-être à comprendre, bulle d’amour et d’espoir mêlés si inextricablement que le mystère s’intensifie au fur et à mesure que je m’y enfonce, un mystère de lumière et d’infini sur lesquels mes mots se posent et naissent, peut-être que ce ne sont que des mots, pas les miens, que des sons, pas les miens, et pourtant je les véhicule, et pourtant je les psalmodie par cette voix qui sort de moi, qui est la mienne peut-être et qu’on me prête ou m’a prêtée en me mettant au monde.

Alors l’éloignement n’est peut-être qu’un prétexte à tisser cette tension entre soi et l’autre, soi et soi, à tisser la toile du monde qui est en nous, ailleurs, dedans, dehors, qu’importe, ici ou là , en ces confins de nous intimes où nous nous perdons et nous nous retrouvons.

Isabelle Normand